Version Hivernale de l’Éperon Nord du Pic des Valletes

Samedi 20 décembre 2014 :

  • « L'hiver est en retard »

  • « Il n'y a pas de neige ! »

  • « J'ai encore fait des trous dans mes skis. »

 


 

Voilà ce qu'on peut entendre ici ou là en ce début de saison. En effet, les conditions ne sont pas idéales pour les excités de la spatule ! Malgré le mauvais temps permanent de ce début décembre, les quantités de neige ne sont pas mirobolantes. La douceur automnale apporte essentiellement de la pluie jusqu'aux plus hautes altitudes de nos massifs. Après quelques jours de beau temps, il est certain que le manteau s'est bétonné comme au printemps. Printemps ?! Ça me rappelle une fin de saison heureuse du coté du Puymorens...

  Il ne faut pas longtemps pour que l'adjudant Foucaud se laisse convaincre de démarrer une nouvelle saison d'alpinisme hivernal dans le secteur des Valletes. Je lui susurre des mots doux évoquant dièdres et placages dans l’Éperon Nord du Pic des Valletes. Depuis que j'y ai mis les pieds à la belle saison j'ai cette idée d'y revenir en mode hivernal. Le coup d'œil jeté aux premières longueurs lors de la visite à la Barrère-Roque n'avait que renforcé ma motivation. Je suis persuadé que « ça fait ». Il ne reste plus qu'à attendre les bonnes conditions mais sans webcam, il n'y a pas de secret : 'faut aller voir !


 On prépare l'artillerie lourde pour l'assaut : piolets, crampons, cordes et friendsss. Une fois l'armoire plus ou moins vide, on charge les sacs dans la voiture, direction Puymorens. Un clip de Martin-Solveig nous donne le courage nécessaire pour affronter le vent froid qui souffle au col. Il est huit heures lorsqu'on remonte les fastidieuses pistes de la station de ski qui font bien grise mine.


 Le chaos de blocs qui encombrent la combe n'est pas enneigé. Le cheminement tortueux qui nous attend ne fait pas rêver mais conformément à nos attentes, la nuit claire a bien durci la neige. Ça nous encourage à aller voir plus loin.

  Après une heure et demi d'approche, la ligne envisagée se dessine. Pas très large certes, mais elle semble en place. On s'équipe avant de remonter le couloir d'accès. Les dépôts d'avalanches de neige humide dénotent un peu en ce début d'hiver. En attendant, on se satisfait pleinement de trouver une neige couic idéale pour le cramponnage.


  L'adjudant Foucaud me laisse ouvrir le bal. Quelques mois plus tôt, c'est le MDC Chabert qui avait attaqué cette première longueur, commune avec la Barrère-Roque. Chacun son tour ! La pente se raidit progressivement jusqu'au premier ressaut, fin de l'échauffement. La goulotte de neige se resserre en un étroit passage. Évidemment, il y a beaucoup moins de neige qu'au printemps, quant à la glace ce n'est même pas en rêve. Néanmoins, le placage est de bonne facture. Le temps de prendre confiance pour optimiser chaque ancrage bien loin au dessus des points et je me rétablis dans une zone moins raide. Quatre-vingt mètres après être parti, je m'installe un relais à l’abri des projectiles que l'adjudant Foucaud ne manquera pas de m'envoyer à son tour !

 La longueur suivante se redresse rapidement. Un système de double goulotte remonte une série de trois ressauts quasiment verticaux. Les premiers mètres inconsistants donnent du fil à retordre à l'adjudant Foucaud. La suite s'engouffre dans un dièdre profond duquel il s’extrait brillamment par un pas de dalle dont lui seul a le secret.

 

 Je m'attend à tout moment à ce qu'il me dise que ça ne passe plus, que c'est le maudit but et qu'il faut redescendre mais non … ça avance. Le troisième ressaut n'est qu'une formalité. Une plaquette et un piton lui offre un relais confortable, on a gagné cinquante mètres supplémentaires.

 On sent que le temps change déjà. Le vent fort du Nord annoncé par la météo commence à se faire sentir. Alors que je le rejoins, je jongle entre les douleurs de l'onglée et le maxi plaisir des ancrages généreux. Je repars pour la troisième longueur : le premier mètre (sans « S ») est déjà un bon morceau. Un coup de cul avec pour seul ancrage un îlot de dix centimètres carrés de neige dure. Le reste semble lisse et sans pied … Vraiment ?! L'adjudant Foucaud me montre le graton salvateur. Ouf !


 La suite est cachée par une zone déversante. Je la contourne pour découvrir un beau placage. En quittant le fil de l'éperon, on domine de belles lignes fuyantes, ambiance ! Ma fuite à moi se fera par le haut, je l'espère bien ! La ligne semble se faufiler élégamment dans une écaille décollée. Impossible de faire un bon relais au pied du mur. Quelques souvenirs me reviennent et il me semble qu'une bonne terrasse m'attend plus haut … si j'ai assez de corde ! Je m'engouffre dans cette cheminée verticale dont les parois sont verglacées. En somme, rien de bien accueillant mais par chance, je trouve des crochetages inespérés et j'arrive même à me protéger correctement ! Que du bonheur, je me régale ! Après exactement soixante mètres, je suis certain qu'on a la chance de gravir les longueurs les plus swag du secteur. Bien sûr, la swageté est très subjective ...

 Je m'installe confortablement pour être aux premières loges et admirer les prouesses de l'adjudant Foucaud. En effet, la longueur suivante est la plus incertaine de la journée. L’esthétique fissure verticale se remonte en dülfer en plein été mais là ce n'est plus la même ... En attendant, les nuages ont fini par nous envelopper complètement. L'humidité ajoute à la sensation de froid alors que le ciel bleu est palpable une centaine de mètres plus haut ! Je ravale la corde au rythme des onomatopées enthousiastes. Mon avis semble être partagé et ça me console car l'adjudant ne se privera pas de sa part du gâteau. La suite est tellement classe qu'il serait prêt à faire péter le galon !

 

 C'est parti ! Il s'applique d'abord à ne pas trébucher sur l'étroit trottoir (pas facile à dire) qui traverse horizontalement jusqu'au pied de la fissure. Le son des premiers ancrages est rassurant. « Chtonk » la neige est parfaitement « couic ». De part et d'autre de la fissure, les parois sont sur-lisses. Il faut donc nettoyer précautionneusement (72 points au scrabble) la fissure et espérer y glisser un friend. Trouver le juste milieu entre faire du ménage et ne pas saccager le précieux support. Mètres après mètres, zippettes après zippettes, il avance jusqu'aux touffes gelées de sortie. Yesss !!! Ce coup-ci c'est sûr, on ira en haut ! La suite se calme un peu. Les touffes laisse place a du mixte et l'adjudant Foucaud atteint une vague arête. Le ciel bleu refait son apparition et le gypaète vient saluer notre progression. A mon tour, je savoure chaque mètre de cette ligne aux airs chamoniards. Malgré toutes nos précautions, le placage est sacrément dégradé après notre passage.

  La fin se couche en un système de vires et de ressauts. Le cheminement se fait au gré des envies et soixante-dix mètres de plus nous déposent au cairn sommital. Sans se presser, ça fait six heures qu'on a laissé les skis. Il est seize heures et en cette veille de solstice d'hiver on ne va pas jouer les prolongations. Pour une fois qu'on peut éviter de rentrer tard, on ne va pas traîner surtout que le vent glacial n'incite pas au farniente. Après un double high-five, on range le matos. La descente se fera rapidement par un couloir de neige à l'Est du sommet. Les formes fantastiques de givres qui tapissent les flancs du couloir concluent parfaitement cette journée au Scottish Spirit.


  On refait les sacs tout en avalant un bout de Comté. La première descente à ski de la saison s'annonce épique. Le cocktail ski d'approche/jour blanc/neige dégueulasse/sacs à dos lourd/nuit tombante est bien épicé. On décide de garder les peaux jusqu'aux pistes de skis en passant par la rive gauche de la combe, un peu moins chaotique. La lueurs du soir laissent place à la pénombre et il serait vraiment temps d'allumer les frontales lorsqu'on arrive à la voiture.

 Les Valletes nous ont encore offert une superbe journée de montagne. Ce secteur est un terrain de jeu unique en Ariège. On est ultra-content d'avoir été au bon endroit au bon moment. On est prêt pour attaquer un nouveau marathon : celui des réveillons de fin d'année !


  Loin de nous l'idée de parler d'une « première » ! On connaît trop la discrétion du grimpeur pyrénéen. Certains ont déjà dû avoir la même idée sans pour autant s'en vanter. L'absence de référencement dans les topos ne signifie rien si ce n'est un petit goût d'aventure. Nous n'avions pas d'infos sur la faisabilité d'une ascension en crampons/piolets. Ce n'est sûrement pas le style le plus employé dans cette voie mais le mérite revient surtout aux ouvreurs. On ne s'est d'ailleurs pas gêner pour clipper les points en place !


  Pour les cotations, on a vraiment du mal à estimer un « M quoi que ce soit ». Ça dépend tellement des conditions... Pour nous ça sera du P6+, P pour Plaisir ! D'ailleurs, je pense que ça se voit sur les photos ! On préfère donc évaluer le passage le plus raide de chaque longueur. Quant à la cotation en TD+, on se réfère à nos expériences personnelles.  Les multiples réchappes possibles limitent l'engagement mais sachez que c'est un ton au dessus du Grand Dièdre ...


  Comme souvent en mixte, le jeu réside dans la recherche des emplacements de protections. Et comme souvent, on se demande bien ce qu'on fait avec tous ces friends au baudrier. Mais comme souvent, il vous manquera toujours ce friend que vous avez eu la flemme de prendre … On vous conseille donc un jeu d'aliens, un jeu de C4 du #0,3 au #3, les câblés, un rappel de soixante mètres, quelques pitons et un marteau.


  Voilà, vous avez toutes les infos pour aller faire la plus belle voie mixte de l'Ariège du 66 !


MDC PEREZ

Écrire commentaire

Commentaires: 0